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Voies pour prendre la tête des producteurs d’éthanol

La FAPESP lance un programme pour encourager la recherche en bioénergie

Publié en Juillet 2008

Variété de canne à hibride cultivée au Brésil

EDUARDO CESARVariété de canne à hibride cultivée au BrésilEDUARDO CESAR

Les chercheurs de l’état de São Paulo sont invités à participer à un grand effort de recherche pour perfectionner la productivité de l’éthanol brésilien et faire progresser la science de base et le développement technologique liés à la production d’énergie à partir de la biomasse. Lancé le 3 juillet 2008, le Programme FAPESP de Recherche en Bioénergie (Bioen) vise à stimuler et à articuler les activités de recherche dans les institutions de l’état de São Paulo et à perfectionner les connaissances déjà existantes. D’après Carlos Henrique de Brito Cruz, directeur scientifique de la FAPESP, « le Brésil présente de nets avantages en matière de production d’éthanol de première génération, fait à partir de la fermentation du saccharose, mais plusieurs défis restent à relever pour améliorer sa productivité. […] Il existe également d’importantes opportunités de développement technologique de l’éthanol de deuxième génération, produit à partir de cellulose et qui fait l’objet de recherches dans plusieurs pays. Le Bioen intervient sur les deux fronts ».

Le programme est composé de cinq versants : 1. la recherche sur la biomasse et plus particulièrement l’amélioration de la canne à sucre ; 2. le processus de fabrication  ; 3. les applications de l’éthanol pour les moteurs automobiles ; 4. les études sur les bioraffineries et l’alcoochimie ; 5. les impacts sociaux et environnementaux de l’utilisation de biocarburants. Glaucia Mendes Souza, chercheuse de l’Institut de Chimie de l’Université de São Paulo (USP) et coordinatrice du programme, explique : « le défi est d’établir un nouveau modèle de recherche et de développement qui ait un impact réel sur l’amélioration des cultures, sur l’augmentation de l’efficacité des processus pour la production d’éthanol et sur l’évaluation de l’impact que provoquera l’utilisation de biocarburants sur plusieurs secteurs de la société ».

L’appel à projets prévoit un investissement de près de 38 millions de réais, répartis entre la FAPESP (19 millions) et le Conseil National de Développement Scientifique et Technologique (CNPq) – 10,2 millions en bourses et 8,8 millions du Programme de Soutien aux Centres d’Excellence (Pronex). Dans le cadre du Bioen, des accords ont également été signés pour articuler l’effort de recherche avec des entreprises et d’autres institutions ; l’un d’eux est le premier appel d’offres Accord FAPESP/Dedini pour le Soutien à la Recherche sur les Processus Industriels pour la Fabrication d’Éthanol de Canne à sucre, qui investira dans un premier temps 20 millions de réais dans des projets coopératifs regroupant des spécialistes de l’entreprise, des universités et des institutions de recherche de l’état de São Paulo. L’Accord FAPESP/Dedini prévoit des investissements de l’ordre de 100 millions de réais sur 5 ans, répartis à parts égales entre les deux partenaires.

Dedini n’est pas la seule entreprise partenaire de la FAPESP dans le domaine de la recherche sur les biocarburants. En 2006, la Fondation associée à la BNDES (Banque Nationale de Développement Économique et Social) a signé un accord avec l’entreprise Oxiteno du Groupe Ultra pour développer sept projets coopératifs de recherche allant du processus d’hydrolyse enzymatique de la bagasse de canne à sucre pour l’obtention de sucres jusqu’à la bioproduction d’éthanol de cellulose. Au début de l’année 2008, la FAPESP et Braskem ont également conclu un accord pour le développement de biopolymères. En plus de ces accords avec les trois entreprises, le programme Bioen a émis un appel d’offres d’une valeur de 5 millions de réais pour un accord entre la FAPESP et la FAMIG (Fondation de Soutien à la Recherche de l’état de Minas Gerais) pour des recherches sur les biocarburants. Enfin, le programme bénéficie de 10 millions de réais de la FAPESP pour des aides régulières et pour le programme Soutien au Jeune Chercheur. L’ensemble d’appels d’offres annoncé au début du mois de juin représente des investissements de 73 millions de réais.

La production de canne à sucre représente au Brésil un chiffre d’affaires de 40 milliards de réais par an. La récolte 2007/2008 devrait atteindre 547 millions de tonnes de canne à sucre, soit 15,2 % de plus que la précédente. La moitié est destinée à la fabrication d’éthanol, ce qui fait du Brésil le deuxième producteur de carburant au monde. La première place est occupée par les États-Unis, qui extraient de l’éthanol de maïs grâce à d’importantes subventions agricoles. Deux tiers de la production brésilienne viennent de l’état de São Paulo. On estime que le Brésil devra doubler sa production dans les 5 à 7 années à venir s’il veut répondre aux demandes locales et internationales en termes de carburant. Pour y parvenir, il faudra construire de nouvelles usines, augmenter les surfaces plantées, améliorer la manipulation et, surtout, accroître les gains de productivité.

L’un des objectifs principaux du Bioen est de créer du savoir qui permette d’accélérer le développement de nouvelles variétés de canne à sucre capables de contribuer à cette avancée. À São Paulo, l’augmentation de la productivité pourra par exemple être atteinte avec la production de plantations plus riches en saccharose, vu que l’expansion de la culture se heurte au manque de terres libres. Sur le Planalto Central (Plateau Central), l’expansion est davantage possible – il existe des superficies au potentiel élevé dans les états du Tocantins (nord), du Maranhão (sud), du Mato Grosso, de Goias et du Triangulo Mineiro (Triangle Minier) de Minas Gerais. Reste à développer un ensemble plus grand de variétés adaptées à l’offre restreinte d’eau. D’après Glaucia Souza, « la disponibilité de plantations résistantes à la sécheresse sera nécessaire pour l’expansion de la culture de la canne à sucre dans cette région, car cela viabilisera l’utilisation de prés et permettra de diminuer la pression de l’expansion sur les savanes (cerrados) et les forêts. […] Les producteurs du Nord-est bénéficieront également de plantations résistantes à la sécheresse, susceptibles d’augmenter de manière significative la productivité de la région ».

Des variétés de canne à sucre adaptées aux divers climats et sols brésiliens, hautement productifs et avec une teneur élevée en sucre ou fibre, sont développées depuis plusieurs années à travers des techniques traditionnelles d’amélioration génétique. Le Programme Bioen souhaite contribuer à l’accélération du développement de ces variétés via la manipulation génétique du métabolisme énergétique des plantes cultivées, afin de générer des avantages compétitifs pour la production brésilienne.

Variété cde canne à sucre hibride

EDUARDO CESARVariété cde canne à sucre hibrideEDUARDO CESAR

Le Programme Bioen est né de l’interaction d’un groupe de chercheurs qui étudient des fragments de gènes fonctionnels de la canne à sucre – lesdits marqueurs de séquence exprimée (EST, expressed sequence tag) – dans le cadre du Programme FAPESP Sucest (Sugar Cane EST). Plus connu sous le nom de Genoma Cana, ce projet a été mené entre 1999 et 2003 par près de 240 chercheurs dirigés par le biologiste Paulo Arruda ; il a été financé par la FAPESP et la Coopérative des Producteurs de Sucre et d’Alcool de l’état de São Paulo (Coopersucar). « Nous sommes arrivés à 238 000 EST, nous avons procédé à l’identification des gènes impliqués, étudié les fonctions associées et fait la matrice de tissus pour aider à la production de plantes génétiquement modifiées plus efficaces », résume Glaucia Souza. « Nous possédons déjà 348 données sur les gènes associés à la synthèse de saccharose ».

Désormais, l’un des défis des chercheurs est d’identifier les régions du génome de la canne à sucre responsables de la régulation de l’expression des gènes relevés par Sucest. La connaissance de la localisation physique des gènes, du dosage de leurs variations (allèles) et du milieu dans lequel ils sont insérés permettra une plus grande efficacité au niveau de l’utilisation de marqueurs moléculaires pour l’amélioration de la culture et la transformation de plantes. Le but est que cette connaissance aide à accélérer le développement de nouvelles variétés, un processus qui dure actuellement au moins dix ans, en le rendant plus compétitif et moins cher. Aujourd’hui, les programmes d’amélioration partent de la sélection de futures variétés (génotypes) sur le terrain, à travers l’évaluation des caractéristiques d’intérêt présentes dans chaque génotype. Ce processus est effectué chaque année sur des milliers de plantes, pour aboutir à quelques variétés au potentiel élevé. Anete Pereira de Souza, coordinatrice de l’étude et professeur du Département de Génétique et d’Évolution de l’Institut de Biologie (Unicamp) et chercheuse du Centre de Biologie Moléculaire et d’Ingénierie Génétique (Cbmeg – Unicamp) observe : « L’idée est de réduire le nombre de plantes évaluées sur le terrain, en utilisant les données des marqueurs moléculaires pour sélectionner préalablement des variétés liées à des gènes d’intérêt ». Pour Marie-Anne Van Sluys, professeur du Département de Botanique de l’Institut de Biosciences de l’USP, « l’identification de marqueurs moléculaires associée aux caractéristiques d’intérêt est extrêmement importante pour l’orientation des croisements dans le programme d’amélioration de la canne à sucre ». Anete P. De Souza et M.-A. Van Sluys vont toutes les deux coordonner des recherches dans le cadre du Bioen. Identifier les marqueurs moléculaires est loin d’être une tâche ordinaire. Le génome de la canne à sucre est jusqu’à trois fois plus grand que le génome humain. En plus, il n’y a pas deux copies de chaque chromosome mais il peut y en avoir jusqu’à dix, et elles ne sont pas égales.

Le Programme Bioen cherchera également à étudier les mécanismes de défense de la canne à sucre contre quelques-uns des principaux parasites agricoles. L’interaction entre la plante et l’insecte est considérée comme un système dynamique, sujet à des variations continues. Selon Glaucia Souza, « les plantes ont développé différents mécanismes pour réduire l’attaque des insectes, y compris des réponses spécifiques qui activent diverses voies métaboliques et altèrent considérablement leurs caractéristiques chimiques et physiques ». D’un autre côté, les insectes ont développé des stratégies pour dépasser les barrières défensives des plantes, ce qui leur permet de se nourrir, de se développer et de se reproduire sur leurs hôtes. Un des objectifs spécifiques est d’étudier le lépidoptère Diatraea Saccharalis, l’un des principaux parasites de la canne à sucre dans la région du Nord-est et qui a récemment été identifié dans les zones de culture du Sud-Est, tout en essayant de comprendre la fonction de protéines spécifiques de défense de la canne à sucre contre l’attaque du lépidoptère.

Les études se pencheront aussi sur la manière dont la canne à sucre va répondre aux changements climatiques. Cette connaissance permettra de développer des variétés plus résistantes à d’éventuelles augmentations de pluie et de chaleur, et à l’accroissement attendu de parasites agricoles. On sait déjà que la concentration élevée de gaz carbonique produit une augmentation de la photosynthèse et du volume de biomasse – ce qui permet de prévoir une augmentation de la productivité. « En contrepartie, on en sait peu sur les mécanismes de contrôle hormonaux, leurs relations avec le métabolisme de carbone et les réseaux de transcription génique associés », observe Marcos Buckeridge, professeur du Département de Botanique de l’Institut des Biosciences de l’USP et coordinateur du programme Bioen. Et d’ajouter : « La connaissance de tels processus permettra de déceler les points du métabolisme de la canne à sucre qui pourraient être modifiés pour produire des variétés adaptées aux changements climatiques ». La recherche de sources de production de biocarburants qui ne nuisent pas à la nature, à l’exemple de l’obtention d’éthanol à partir de polysaccharides de semences d’arbres natifs cultivées au milieu des plantations de canne à sucre, fera également l’objet de recherches. De l’avis de Buckeridge, « les systèmes agroforestiers peuvent représenter un nouveau modèle susceptible d’augmenter la production d’énergie renouvelable d’une manière harmonieuse et avec des bénéfices sociaux, sans compter un impact minimal sur l’environnement ».

Seule le saccharose, responsable d’un tiers de la biomasse de la canne à sucre, est utilisé pour la production de sucre et d’alcool carburant. Il est vrai que le Brésil se sert de la bagasse de la canne à sucre pour produire de l’énergie dans les usines ou dans la production d’aliments pour animaux –  une démarche à l’origine d’un gain notable d’efficacité. Le grand défi est de convertir également en éthanol la cellulose qui se trouve dans la bagasse et dans la paille de la canne à sucre ; des processus d’hydrolyse enzymatique ou physico-chimiques permettraient de fermenter les unités de carbone de la cellulose et de l’hémicellulose. La maîtrise des technologies d’utilisation de la cellulose est au cœur de la course mondiale pour la production d’énergie à partir de sources renouvelables. Actuellement, ce processus est très onéreux et encore loin d’être économiquement viable. Si les chercheurs découvrent comment en réduire les coûts, l’utilisation des deux tiers de la cellulose de la canne à sucre pourra, à long terme, augmenter énormément la production d’éthanol brésilien.

Le Programme Bioen va étudier la physiologie des parois cellulaires de la canne à sucre. Elles sont constituées de cellulose, d’hémicelluloses et de pectines entrelacées de telle manière qu’il est très difficile d’extraire efficacement l’énergie existante dans leurs liaisons chimiques. Il est prévu d’investir dans l’étude sur la constitution de la paroi pour, peut-être, altérer sa structure et créer des variétés dont la dégradation soit plus facile. D’après Buckeridge, « nous avons déjà la composition et la structure des polysaccharides de la paroi cellulaire des feuilles, de la chaume et des fleurs de la canne à sucre. Donc nous savons quelles liaisons doivent être brisées pour produire du sucre. […] Nous avons également une liste de 469 gènes liés à la paroi cellulaire et nous sommes en train d’approfondir les études pour comprendre comment travaillent certaines enzymes. Mais c’est un travail long, car nous devons comprendre comment travaille chaque enzyme et en plus comment elles travaillent ensemble. Notre objectif à long terme est de faire en sorte que la plante commence à dégrader sa propre paroi à un moment donné de son développement, afin qu’il soit plus facile, une fois la plante cueillie, de terminer le processus d’hydrolyse en utilisant des enzymes de microorganismes ».

Les recherches sur l’obtention d’éthanol de cellulose impliquent des processus physiques, chimiques ou biologiques et personne ne sait encore lequel est le plus efficace. Brito Cruz, le directeur scientifique de la FAPESP, souligne l’importance d’investir simultanément dans l’éthanol traditionnel et dans celui de la cellulose : « Il y a encore deux ans, produire de l’éthanol en grande quantité était un sujet brésilien. Aujourd’hui, le fait que les pays développés s’intéressent à ces technologies va donner lieu à une compétition qui nous obligera à avancer beaucoup plus sur le plan scientifique. […] L’idée selon laquelle l’éthanol de seconde génération est supérieur est encore controversée. Il sera sans aucun doute avantageux pour les pays qui ne parviennent pas à produire de l’éthanol de première génération. Les recherches indiquent que l’éthanol de première génération restera supérieur à celui de deuxième génération pendant de nombreuses années. Malgré tout, l’éthanol de deuxième génération sera très attractif en face du coût actuel du pétrole ».

L’entreprise Dedini, en partenariat avec la FAPESP, a déjà développé et fait breveter un processus d’obtention d’éthanol de cellulose, et maintenant elle s’efforce de le perfectionner. « C’est un grand privilège de pouvoir compter sur la connaissance des centres de recherche pour, ensemble, résoudre des problèmes technologiques liés à la production de l’éthanol », affirme José Luiz Olivério, vice-président de Dedini. L’appel d’offres établissait que les chercheurs pouvaient présenter dans un délai de 3 mois des projets sur le perfectionnement des processus traditionnels – comme la production de l’éthanol ou l’utilisation de résidus de canne à sucre pour produire de l’électricité – et sur le développement de processus innovateurs, comme l’obtention d’éthanol de cellulose via l’hydrolyse acide ou enzymatique à des prix compétitifs. Les propositions ont été sélectionnées par un comité et les projets choisis seront suivis par des chercheurs spécialistes de Dedini.

Depuis quelques mois, une discussion s’est engagée sur l’éventuel impact de la culture de l’éthanol sur la production d’aliments. Ce sujet pourra faire l’objet d’études dans le cadre du cinquième versant du programme, qui traite des impacts sociaux et environnementaux de l’avancée de la production bioénergétique. Pour Brito Cruz, « il a déjà été clairement prouvé que c’est un sujet équivoque, que les deux plus grands responsables de la croissance du coût des aliments sont  l’augmentation du prix du pétrole, qui affecte le transport, et l’augmentation de la consommation mondiale causée par le développement accéléré de la Chine et de l’Inde. […] La préoccupation du Bioen ne s’arrête pas à ce débat conjoncturel mais au fait que jusqu’à aujourd’hui le développement de l’agriculture dans le monde a toujours été fondé sur la production d’aliments et que maintenant il est aussi fondé sur la production d’énergie pour les automobiles. Cela changera probablement la logique qui gouverne l’évolution de l’agriculture dans le monde, et sur ce point on sait encore peu de choses ».

Enfin, le Bioen a également l’intention d’attirer et de former du personnel qualifié pour la recherche en bioénergie. L’idée est de créer les conditions nécessaires pour consolider le leadership de l’état dans ce domaine au moyen d’actions permettant le développement de la recherche universitaire dans un modèle de compétitivité internationale, d’élargir la contribution des instituts et des centres qui développent déjà des recherches en la matière et d’établir un réseau de recherche en partenariat et en collaboration avec des entreprises.

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