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PHYSIQUE

Voisinage actif

Une stratégie permet d’évaluer l’interaction magnétique entre nanoparticules

Publié en février 2011

Cube métallique : arrangement en 3D des atomes de nickel à température ambiante

Cube métallique : arrangement en 3D des atomes de nickel à température ambiante

Physiciens de l’Université de São Paulo (USP), Sueli Hatsumi Masunaga et Renato de Figueiredo Jardim ont développé une stratégie relativement simple pour mesurer un phénomène qui affecte le stockage et la transmission d’informations enregistrées sur des supports magnétiques tel que le disque dur (HD) des ordinateurs. Si ce type d’évaluation des caractéristiques du matériel composant la mémoire magnétique des ordinateurs s’avère commercialisable, on pourra envisager de produire – avec le même matériel que celui utilisé actuellement – des disques durs d’une capacité de stockage jusqu’à cinq fois supérieure à celle d’aujourd’hui.

Le disque dur d’un ordinateur ordinaire enregistre les informations sur des films de petites particules magnétiques de cobalt (Co), chrome (Cr) et platine (Pt), recouverts d’un matériel isolant. On estime qu’il stocke 200 gigabytes de données sur une superficie comparable à celle d’une boîte d’allumettes. Pour Jardin, directeur de l’Institut de Physique (IF) de l’USP, « en cas de fabrication optimum de ce composant, la même superficie serait capable d’abriter un téraoctet ».

L’augmentation du pouvoir de stockage de ce matériel, dont la composition et la capacité exactes ne sont habituellement pas diffusées par l’industrie, dépend du contrôle de l’influence qu’exercent les nanoparticules les unes sur les autres – un phénomène du monde atomique nommé interaction dipolaire parce que les nanoparticules se comportent comme de minuscules aimants (dipôles magnétiques). D’après Masunaga, « cette interaction augmente en intensité avec la réduction de l’espace entre les particules, et elle se produit même à des distances considérées grandes dans le monde nanométrique ».

Lorsque l’on appuie sur la touche « Entrée » d’un ordinateur pour enregistrer un fichier de texte, par exemple, une petite bobine (tête de lecture) qui flotte à des dixièmes de millionièmes de millimètres du disque dur convertit les signaux électriques en magnétiques et oriente le champ magnétique des nanoparticules dans un certain sens ou dans le sens contraire, à 180 degrés. L’orientation de ce champ magnétique (imaginez une flèche pointée vers le haut ou vers le bas) fonctionne comme une unité d’information : le bit, représenté par les nombres 0 et 1. En actionnant la commande de sauvegarde de l’information, une longue suite de 0 et de 1 est codifiée dans l’orientation magnétique des nanoparticules ; et elle ne se modifie pas quand l’appareil est éteint.
Augmenter la capacité de stockage de ce type de mémoire créée dans les années 1950 par IBM exige l’installation d’un nombre plus grand de particules magnétiques sur une même superficie. Mais certains facteurs comme l’interaction dipolaire par exemple rendent l’opération difficile. Au fur et à mesure que les nanoparticules deviennent plus proches, les champs magnétiques qu’elles génèrent interagissent entre eux jusqu’à, selon la distance, provoquer l’inversion de sens de ces particules – ou, comme disent les physiciens, elles « flipent ». Et dans ce cas « fliper » est synonyme d’instabilité, ce qui n’est pas souhaitable pour stocker des informations.

Jardim et Masunaga ont proposé en janvier 2011 dans l’Applied Physics Letters une manière de contourner le problème : utiliser deux ensembles de caractéristiques du matériel pour estimer à partir de quel point l’interaction dipolaire devient importante. D’ordre structurel, le premier ensemble prend en compte la taille des particules et la distance qu’il y a entre elles. L’autre mesure est la susceptibilité magnétique, c’est-à-dire la réponse du matériel à un champ magnétique.

Les deux chercheurs ont élaboré cette stratégie après avoir analysé le comportement d’un matériel contenant des nanoparticules de nickel synthétisées par Masunaga – partie d’un projet thématique de la FAPESP coordonné par le physicien Reginaldo Muccillo. Naturellement magnétique à la température ambiante au même titre que le fer (Fe) et le cobalt (Co), le nickel (Ni) est un métal modèle pour l’étude des propriétés magnétiques. Au laboratoire, Masunaga a mélangé un acide (citrique), un alcool (éthylène glycol) et un sel (nitrate de nickel). Le mélange liquide a été maintenu à 80ºC jusqu’à ce qu’il se transforme en gel, puis chauffé pendant trois heures à une température de 300ºC. La résine qui s’est formée a été triturée et à nouveau chauffée, mais cette fois dans une atmosphère d’azote pour éliminer les impuretés. Le résultat fut la formation de nanoparticules sphériques de nickel immergées dans une matrice de carbone et d’oxyde de silicium. Avec en moyenne cinq nanomètres de diamètre, chaque nanoparticule est en réalité un agglomérat de près de 6 000 atomes disposés en forme de cubes et qui se comporte comme s’il s’agissait d’un seul dipôle.

Interaction
En augmentant la concentration de nickel, qui a varié de 1,9 % à 12,8 % de la masse du composé, Masunaga a constaté au microscope électronique que la distance entre les nanoparticules était passée de 21 à 11 nanomètres. Parallèlement, la susceptibilité magnétique a révélé une plus grande interaction entre les particules. À partir d’une certaine distance, la susceptibilité magnétique a cessé d’être décrite de la manière attendue pour des particules indépendantes, signifiant ainsi que les champs magnétiques des nanoparticules commençaient à interférer les uns sur les autres. « L’interaction dipolaire est devenue importante à des distances inférieures à 14 nanomètres », indique Masunaga. La chercheuse a décrit ces résultats dans un article de la Physical Review B de 2009 et dans un autre à paraître dans le Journal of Applied Physics. Un disque dur contenant des nanoparticules si proches entre elles se comporterait comme une mémoire atteinte d’Alzheimer : elle pourrait perdre l’information aussitôt après l’avoir acquise.

D’après Jardim, « cette caractéristique qui rend le matériel inadéquat pour stocker des données peut être intéressant pour des phénomènes n’exigeant pas la préservation de l’état, comme la transmission de l’information ». Il pense que la stratégie peut être appliquée à tout matériel et éveiller ainsi l’intérêt de l’industrie : « La méthode pourrait être adoptée en tant que protocole pour contrôler la construction de mémoires magnétiques d’ordinateur et pour tester leur qualité ».

LE PROJET
Étude de phénomènes intergranulaires sur des matériaux céramiques – nº 2005/53241-9
MODALITÉ
Projet Thématique
COORDONNATEUR
Reginaldo Muccillo – Ipen/SP
INVESTISSEMENT
945 914,22 réaux (FAPESP)

Article scientifique
MASUNAGA, S.H. et al. « Increase in the magnitude of the energy barrier distribution in Ni nanoparticles due to dipolar interactions ». Applied Physics Letters. v. 89. Janv. 2011.

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