Imprimir PDF Republish

Oncologie 

Effort redoublé contre le câncer

Des hôpitaux comme l’Icesp et l’A. C. Camargo allient les recherches fondamentale et appliquée en quête de meilleurs traitements contre les tumeurs

Entreposage de sous-produit des échantillons de matériel biologique de la biobanque de l’Icesp

Léo Ramos Chaves

Rapprocher la paillasse de laboratoire du lit du patient est devenu l’objectif de certains centres et instituts spécialisés en oncologie ou d’hôpitaux généraux ayant des services consacrés à l’étude et au traitement du cancer. La tendance se vérifie aussi bien dans des institutions publiques de référence que dans des établissements privés. Créé il y a 10 ans et ayant pris en charge 95 000 patients, l’Institut du cancer de l’état de São Paulo (Icesp) a rapidement établi des liens entre le traitement et la recherche dans son fonctionnement. Depuis sa fondation, les 25 chercheurs permanents ont publié près de 1 000 articles scientifiques. Au 8e étage du bâtiment de l’Icesp, unité du gouvernement de l’état de São Paulo située à São Paulo, il existe un petit ascenseur de charge qui mène aux 13e et 14e étages, là où se trouvent les 18 blocs opératoires de l’hôpital. C’est par cet équipement que sont transportées les tumeurs extraites des patients jusqu’à l’un des laboratoires du Centre de recherche translationnelle en oncologie (CTO), où sont faits les diagnostics, près de 500 par mois. Du laboratoire de pathologie, le matériel utilisé pour le diagnostic – à présent divisé en centaines d’échantillons de cellules cancéreuses et de tissus conservés sur des lamelles et des blocs de paraffine – poursuit sa route vers la biobanque. Avec leurs informations et l’historique du patient, ces échantillons resteront à disposition de projets de recherche qui, assez souvent, naissent de questions posées par des médecins qui traitent les patients.

Le chemin parcouru par les 23 000 échantillons de matériel biologique conservés dans la biobanque résume la dynamique et la philosophie de travail du CTO. D’après Roger Chammas, professeur d’oncologie de la Faculté de médecine de l’Université de São Paulo (FMUSP) et coordinateur du CTO, « l’Icesp a un grand impact social sur son travail d’assistance et la recherche a un impact sur la production de connaissance. L’alliance assistance-recherche fait affleurer la synergie possible et désirée ».

La structure même de l’Icesp invite au regroupement des efforts : dans les 28 étages que compte l’établissement, les espaces destinés à l’enseignement, la recherche et l’assistance médicale cohabitent.

Léo Ramos Chaves Et analyse d’images de cellules de mélanome dans le laboratoire de l’institutLéo Ramos Chaves

La biobanque est un des principaux points de rencontre des chercheurs de l’Icesp et d’autres institutions. Mais il n’est pas le seul. Les laboratoires occupent environ 1 500 m2, soit 60 % du 8e étage, et sont partagés par des chercheurs en biologie cellulaire et moléculaire, génétique, pathologie, virologie, biotechnologie et épidémiologie. Quand l’Icesp a été créé, des dizaines de chercheurs menant des études sur le cancer étaient éparpillés dans différentes unités de l’USP. Chammas rappelle : « Nous avons proposé une structure pouvant accueillir la demande d’échantillons et l’accès à des technologies avancées pour tous ces groupes de recherche, avec comme administrateurs de l’espace les professeurs du département d’oncologie ». C’est ainsi qu’est né le CTO.

L’existence de la biobanque a facilité la planification des groupes de recherche. Ainsi, il est possible de commencer la collecte de matériel avant même que le projet scientifique ait reçu un financement. « La biobanque est un trésor », estime le médecin Maria Aparecida Koike Folgueira, chef du département de radiologie et d’oncologie de la FMUSP : « Avant on ne commençait à collecter des échantillons qu’après le début du projet ». Elle oriente différentes recherches sur des facteurs génétiques et environnementaux chez des jeunes patients atteints de cancer.

Mouvement de translation
Depuis que la structure du CTO a été mise en place, en 2010, plus de 73 millions de reais BRL ont été investis dans la recherche : 2,5 millions de reais BRL donnés par la famille Ermírio de Moraes, utilisés pour la construction des laboratoires, et le reste de l’Icesp, du Programme national de soutien aux soins oncologiques (Pronon), du Ministère de la Santé et de projets financés par la FAPESP. Le CTO abrite 13 projets répartis en 4 programmes de recherche : innovation thérapeutique et diagnostique, oncologie moléculaire, épidémiologie et prévention et recherche clinique. Chammas évite de faire des distinctions entre recherche fondamentale et appliquée : « Ce que l’on veut, c’est répondre à des questions. Si la question exige de la recherche fondamentale, c’est dans cette direction que l’on va. La recherche translationnelle transfère la connaissance produite par le domaine fondamental vers un usage clinique, une application médicale ». D’après le Nord-américain Bryan Strauss, biologiste moléculaire et coordinateur du Laboratoire de vecteurs viraux de l’Icesp, « le Brésil n’est pas coutumier de la recherche translationnelle, mais c’est en train de changer. Le chercheur commence à percevoir qu’il ne peut pas travailler isolément ».

Hospital de Amor En 2017, l’Hôpital de Amor, à Barretos, état de São Paulo, a inauguré le Centre de recherche moléculaire en préventionHospital de Amor

Strauss est au Brésil depuis 1998 et il dirige un projet centré sur la thérapie génique en vue de développer une forme d’immunothérapie contre le mélanome, le cancer de la peau le plus agressif. Avec cette approche, un virus neutralisé est inséré dans les cellules du patient et utilisé comme porteur de deux gènes suppresseurs de tumeur : « Ils provoquent la mort des cellules tumorales et libèrent des facteurs qui induisent une réponse du système immunologique contre ces cellules. […] Ainsi, les gènes ‘enseignent’ à l’organisme comment se protéger ». Dans le laboratoire, Strauss a l’opportunité d’analyser le comportement de cellules cancéreuses extraites de patients en traitement à l’Icesp, ce qui lui permet d’évaluer l’hétérogénéité des tumeurs et les différences de réponse au traitement. En parallèle, il cherche à comprendre la réaction du système immunologique à la thérapie génique chez des souris. Il espère pouvoir utiliser des chiens dans ses prochaines recherches : « le cancer du chien ressemble à celui de l’être humain. Les études avec les souris ont beaucoup de limitations ».

L’A.C. Camargo Cancer Center, institution privée sans  buts lucratifs située à São Paulo et régie par la Fondation Antônio Prudente, investit également dans le rapprochement entre le traitement et la recherche. Selon la biochimiste Vilma Regina Martins, directrice de recherche de l’institution, 18 spécialistes se consacrent intégralement à la recherche, mais il y a aussi des professionnels du corps clinique qui mènent des recherches et orientent les étudiants du programme de 3e cycle de l’hôpital. Au total, ce sont près de 60 professionnels qui font des recherches sur un ensemble de 600 médecins travaillant dans l’institution. En 2017, 77 étudiants de 3e cycle stricto sensu ont achevé leur formation et 182 articles ont été publiés dans des revues scientifiques internationales.

L’hôpital possède un espace exclusif pour les activités scientifiques, le Centre international de recherche (Cipe), un bâtiment de 4 000 m2 à proximité du siège de l’institution. Dans ces laboratoires, la recherche translationnelle est menée par des groupes de génomique et biologie moléculaire, bio-informatique, pathologie expérimentale, immuno-oncologie, biologie tumorale et biomarqueurs, épidémiologie et biostatistique. « Nous participons aux essais cliniques depuis 10 ans », déclare Vilma R. Martins. Chaque année, l’A.C. Camargo investit environ 18 millions de reais BRL de ses propres ressources dans la recherche, auxquels s’ajoutent 4 millions de reais BRL provenant d’agences de soutien à la recherche et d’autres sources.

La recherche translationnelle transfère la connaissance obtenue en recherche fondamentale vers l’usage clinique, dit Roger Chammas

Un nouveau groupe de recherche a été créé en octobre 2017 sous la direction de l’immunologiste nord-américain Kenneth Gollob, installé au Brésil depuis 20 ans. Son équipe accompagne près de 300 patients (surtout des cas de tumeurs au niveau du poumon, de la vessie, de la tête, du cou et des mélanomes) qui ont reçu une forme d’immunothérapie reconnue par l’Agence nationale de vigilance sanitaire (Anvisa), afin d’observer la réponse de chacun au traitement. Selon Martins, « environ 25 % des patients cancéreux répondent bien à cette thérapie. Beaucoup souffrent d’effets secondaires que l’on n’arrive pas encore à contrôler. Mais parmi ceux qui bénéficient de l’immunothérapie, la réponse est très bonne. Nous avons des patients dont le pronostic vital était de deux mois, mais ils ont suivi le traitement et sont en vie depuis plus de 5 ans. Chaque année, l’immunothérapie est approuvée pour plus de types de tumeurs ».

Thérapie personnalisée
À l’Hôpital Syro-Libanais, une institution privée située à São Paulo, l’unité d’enseignement et de recherche effectue aussi des recherches susceptibles d’être transférées de la paillasse du laboratoire à la clinique médicale. Luiz Fernando Lima Reis, biochimiste et directeur de l’unité, déclare que « la question principale est de savoir comment identifier des modifications qui peuvent conduire des patients ayant le même type de tumeur à répondre différemment au traitement ». Il signale que 100 % des recherches sont tournées vers l’identification de biomarqueurs qui puissent soutenir le choix thérapeutique : « Nous avons deux lignes de recherche : la recherche d’altérations tumorales pour aider à choisir le traitement et l’anticipation du diagnostic de résistance à un médicament donné ».

Les recherches sont réalisées au Centre d’oncologie moléculaire de l’institution, créé en 2011, quand l’Institut Ludwig de recherche sur le cancer est sorti de l’Hôpital allemand Oswaldo Cruz. Lima Reis explique : « Avec la fin des activités de l’Institut Ludwig au Brésil, son groupe d’oncologie alors coordonné par la généticienne Anamaria Aranha Camargo a rejoint l’hôpital Syro-Libanais ». Aujourd’hui, la généticienne dirige le centre installé sur 6 000 m2 au sein du complexe hospitalier, et elle est à la tête d’une équipe d’approximativement 20 chercheurs.

Léo Ramos Chaves Équipement utilisé dans le séquençage d’ADN pour des études en oncologie à l’Hôpital Syro-LibanaisLéo Ramos Chaves

Toujours dans l’état de São Paulo, l’Hôpital de Amor (nouveau nom de l’Hôpital du Cancer de Barretos) abrite depuis 8 ans l’Institut d’enseignement et de recherche qui est relié à son 3e cycle en oncologie. Il existe quatre lignes de recherche : soins palliatifs et qualité de vie, épidémiologie et prévention, oncologie clinique et chirurgicale, oncologie et pathologie moléculaire. D’après le biologiste et directeur scientifique de l’Institut, Rui Manuel Reis, plus de 200 professionnels participent à des études scientifiques. Sur ces 200, 30 dirigent des travaux d’étudiants de 3e cycle et 10 sont chercheurs à temps complet. Ils disposent d’une structure de plus de 3 000 m2 et notamment de la Banque de tumeurs Dr Ricardo Renzo Brentani : « Actuellement, nous avons plus de 220 000 échantillons de tissu tumoral, sang et autres fluides de plus de 40 000 patients, collectés entre 2006 et 2018. Ces échantillons ont une énorme valeur pour la médecine translationnelle ».

Il explique que la biobanque est fondamentale pour soutenir les recherches en génomique qui visent à cartographier les modifications génétiques pour développer une thérapie personnalisée en oncologie : « La plupart des médicaments que nous utilisons ont été développés pour le profil de patients étrangers. Peu de travaux explorent le profil génétique de la population brésilienne ». L’Hôpital de Amor est impliqué dans plusieurs consortiums de recherche nationale et internationale, comme l’International cancer genome consortium (ICGC), qui a des représentants de 16 pays. Dans ce consortium, le projet développé par des chercheurs brésiliens étudie la cartographie génétique complète du mélanome.

Les études réalisées par l’Hôpital de Amor, où tous les patients sont gratuitement pris en charge par le Système unique de santé (SUS), dépendent quasiment toutes des subventions des agences de soutien à la recherche. Chaque année, près de 10 millions de réais BRL sont versés au secteur d’enseignement & recherche. En 2015, l’institution a reçu des fonds provenant d’une action en justice contre une entreprise.

Accusée d’avoir provoqué une maladie professionnelle, l’entreprise Shell/Basf à Campinas a été condamnée par le Ministère public du Travail à verser des indemnisations aux fonctionnaires et à payer une compensation de 200 millions de reais BRL. Les fonds ont été versés à 8 entités sans buts lucratifs et qui travaillent en collaboration avec le SUS. L’Hôpital de Amor a reçu 70 millions de reais BRL qui ont été investis dans trois initiatives : la construction du Centre de recherche moléculaire en prévention, à Barretos ; la construction de l’Institut de prévention à Campinas – tous deux inaugurés en 2017 ; et l’acquisition de quatre véhicules qui fonctionnent comme des cliniques itinérantes pour la réalisation d’examens gratuits de dépistage du cancer et promeuvent des programmes éducatifs.

Republier