Après six ans de construction, le Riachuelo va être mis à l’eau à Itaguaí, dans la région métropolitaine de Rio de Janeiro. Le Riachuelo est le premier de cinq sous-marins (quatre conventionnels et un à propulsion nucléaire) fabriqués dans le pays dans le cadre du Programme de développement de sous-marins (Prosub) de la Marine brésilienne. En plus de patrouiller et de défendre ladite Amazonie bleue – zone maritime de 4,5 millions de kms2 riche en biodiversité et en ressources, comme les réserves de pétrole du pré-sel –, les sous-marins sont un moteur important pour le développement technologique de l’industrie navale brésilienne.
Le montant estimé du Prosub est de 31,85 milliards de reais BRL. Le programme comprend la construction d’un complexe industriel à Itaguaí avec deux chantiers navals (un pour la construction et un autre pour la maintenance), une base navale et l’Unité de fabrication de structures métalliques. Après le Riachuelo, le calendrier prévoit la finalisation des sous-marins conventionnels Humaitá en 2020, Tonelero en 2021 et Angostura en 2022. Le lancement du sous-marin nucléaire, le SN-BR Álvaro Alberto, est prévu pour 2029 (cf. encadré). Avec lui, le Brésil prétend rejoindre le groupe des détenteurs de la technologie de sous-marins nucléaires, seulement formé de six pays : France, Chine, Royaume-Uni, Inde, Russie et États-Unis.
Selon l’amiral d’Escadre Bento Costa Lima Leite de Albuquerque Junior, directeur-général du Développement nucléaire et technologique de la Marine, devenu ministre des Mines et de l’Énergie quelques semaines après avoir participé à ce reportage, les nouveaux sous-marins conventionnels de la classe S-BR Riachuelo vont progressivement remplacer la flotte actuelle composée de cinq embarcations de la classe Tupi. Les sous-marins Tupi ont été construits dans les années 1980 et 1990 ; l’un d’eux a été fabriqué en Allemagne et les autres au Brésil par Nuclebrás Equipamentos Pesados (Nuclep) en partenariat avec l’Arsenal de la Marine de Rio de Janeiro.
La modernisation de la flotte conventionnelle garantit déjà une augmentation du pouvoir de surveillance et de défense des eaux brésiliennes, car les nouveaux sous-marins Riachuelo ont une plus grande autonomie que ceux de la classe Tupi : ils peuvent rester 75 jours en mission contre 45 pour les autres. Et avec l’arrivée du sous-marin nucléaire, la capacité franchira un nouveau seuil. Un sous-marin conventionnel est propulsé par un moteur électrique alimenté à l’huile diesel. Comme la combustion de l’huile diesel dépend de l’oxygène, l’embarcation a généralement besoin d’émerger deux fois par jour pour capter le gaz de l’atmosphère, ou du moins hisser jusqu’à la surface un tube appelé snorkel. Il faut aussi se réapprovisionner régulièrement en diesel. Dans ces moments-là, l’embarcation est exposée et devient une cible facile à attaquer en cas de situations de conflit.
Les sous-marins nucléaires sont moins vulnérables. Leur source d’énergie est un réacteur nucléaire dont la chaleur produite vaporise de l’eau, et c’est cette vapeur qui est utilisée dans les turbines. Conformément au plan de chaque sous-marin, les turbines peuvent actionner des générateurs électriques ou l’hélice elle-même. Dans les deux cas, l’énergie produite est suffisante pour la vie à bord. L’amiral Albuquerque explique qu’« ils peuvent rester sous l’eau pendant un temps théoriquement illimité vu qu’ils possèdent une source virtuellement inépuisable d’énergie ». L’autonomie des sous-marins – entendue comme le temps passé hors de la base – est alors seulement limitée par la résistance physique et psychologique de l’équipage et par le stock de provisions. La Marine des États-Unis a établi ce temps à six mois.
Un autre avantage des sous-marins à propulsion nucléaire est la vitesse de déplacement. Tandis que les conventionnels vont à une vitesse moyenne de 6 nœuds (environ 11kms/heure), ceux à propulsion nucléaire atteignent les 35 nœuds (quasiment 65kms/heure). Grâce à cela, ils peuvent couvrir de plus grandes distances. Selon l’amiral, « la disponibilité de sous-marins à propulsion nucléaire augmentera significativement la dynamique opérationnelle de la force. Les caractéristiques de cette embarcation, comme la grande mobilité et le pouvoir d’occultation, garantissent une capacité importante de dissuasion dans la défense de l’Amazonie bleue ».
Transfert de technologie
Le Prosub est le résultat d’un accord de coopération signé en 2008 entre les gouvernements du Brésil et de la France, avec la participation d’entreprises publiques et privées sous la coordination de la Marine brésilienne. Dans ce partenariat, les Français se sont engagés à aider les Brésiliens à construire les sous-marins, mais pas seulement. Ils les aident aussi à les projeter. La France a contribué avec la technologie non-nucléaire pour les projets et les constructions, avec comme responsable du transfert de savoir-faire le groupe industriel Naval Group (qui s’appelait jusqu’en 2017 Direction des constructions navales et services, DCNS).
L’entreprise de construction brésilienne impliquée dans le projet est Norberto Odebrecht (NO) ; elle a constitué avec la DCNS une Société à objectif spécifique (SPE), l’Itaguaí Construções Navais (ICN), dans laquelle la Marine brésilienne dispose d’un droit de véto (golden share). L’ICN est responsable de la construction des chantiers, de la base navale et des sous-marins. L’Unité de fabrication de structures métalliques est un de ses bras opérationnels. D’après l’amiral, le défi technologique du projet est surmonté avec le transfert de technologie dans différents domaines, y compris l’infrastructure industrielle, la construction des sous-marins et le système de contrôle et de combat. Le projet de la propulsion nucléaire ne fait pas partie de l’accord. Le processus de transfert de technologie comprend la transmission par les Français d’informations et de données techniques sur les sous-marins, des cours de qualification, des entraînements spécifiques effectués en France et une assistance technique.
Une autre action prévue dans le cadre du Prosub est la nationalisation d’équipements et de composants pour la construction de l’infrastructure et des embarcations. Le programme prévoit le transfert de technologie pour des compagnies brésiliennes sélectionnées. Jusqu’à présent, 52 entreprises nationales participent déjà au Prosub, à l’exemple de l’entreprise de Santa Catarina Weg, responsable de la fourniture de moteurs électriques, et les entreprises de São Paulo Adelco (systèmes d’énergie) et Newpower (batteries adaptées aux sous-marins).
Le Prosub est le fruit d’un accord de coopération signé en 2008 entre les gouvernements de la France et du Brésil
Une technologie considérée critique par la Marine pour le succès du projet est le système de combat des sous-marins, responsable du contrôle et de la gestion des six tubes lance-torpilles qui équipent le Riachuelo. La tâche a été attribuée à la Fondation Ezute, une institution privée sans buts lucratifs créée en 1997 et habilitée par le Ministère de la Défense en tant qu’entreprise stratégique de défense (EED).
Le processus de nationalisation de ce système a débuté en 2011 avec l’envoi en France de neuf professionnels de la fondation pour un stage en ingénierie, intégration de systèmes et développement de logiciel de gestion Combat Management System (CMS). Andrea Hemerly, directrice du marché de la défense de la Fondation Ezute, explique : « Nos ingénieurs ont été les responsables de la création des modules qui permettent la communication du sous-marin avec le link de données tactiques utilisé par la Marine sur ses bateaux ».
Intégration de systèmes
De retour au Brésil en 2015, l’équipe a multiplié la connaissance acquise. Elle a entraîné de nouveaux membres pour le projet et aidé la Marine à intégrer les systèmes des sous-marins de la classe Riachuelo et à travailler sur le projet préliminaire du système de combat SN-BR. Andrea Hemerly est confiante : « le Brésil atteindra son objectif d’être autonome en matière d’ingénierie et d’intégration de systèmes de combat de sous-marins, de même qu’au niveau de la qualification, du projet, du développement et de l’intégration du système de combat du premier sous-marin à propulsion nucléaire fabriqué dans le pays ».
L’ingénieur naval Luis de Mattos, président de la Société brésilienne d’ingénierie navale (Sobena), dit que le Brésil possède un corps technique préparé et une vaste structure industrielle, ce qui favorise l’absorption de la technologie : « Ce qui manquait, c’était l’opportunité. Et c’est ce que le Prosub est en train de créer ». Il pense qu’il est important que la Marine ait établi des objectifs clairs pour la nationalisation de la technologie, qui commence avec un taux de 20 % de contenu local pour le Riachuelo et augmente progressivement avec chaque nouvelle embarcation : « Le Prosub permettra au Brésil d’entrer dans le groupe sélect des pays habilités à construire leurs propres sous-marins. Dans l’avenir, nous pourrons même participer à des appels d’offres internationaux ».
Le projet du sous-marin à réacteur nucléaire a débuté en 1979 et devra être finalisé à la fin de la prochaine décennie
La construction de sous-marins à propulsion nucléaire est un objectif du gouvernement depuis 1979, quand fut créé le Programme nucléaire de la Marine du Brésil (PNMB). Son but était d’obtenir une qualification technique pour projeter, construire, mettre en œuvre et maintenir des systèmes de propulsion navale avec des réacteurs nucléaires, mais aussi détenir le cycle de production du combustible nucléaire. Le développement du système de propulsion nucléaire du sous-marin SN-BR Álvaro Alberto est de la responsabilité exclusive de la Marine, qui a déjà commencé la mise en place du Laboratoire de production d’énergie nucléo-électrique (Labgene) à Iperó (état de São Paulo). D’après l’amiral d’Escadre Bento Costa Lima Leite de Albuquerque Junior, directeur général du Développement nucléaire et technologique de la Marine, « Le Labgene permettra la simulation de l’opération du réacteur et des systèmes électromécaniques qui y sont intégrés ».
Pour que le PNMB atteigne son objectif, il est essentiel que le pays domine la technologie du cycle du combustible nucléaire et des réacteurs à eau pressurisée (REP), utilisés dans les usines nucléaires et dans la propulsion de sous-marins. L’amiral précise que « parmi les étapes du cycle du combustible, la séparation isotopique est celle qui ajoute le plus de valeur technologique et la plus complexe. C’est pour cela que la Marine a donné la priorité à l’enrichissement d’uranium, la première étape à maîtriser ». Entre les technologies d’enrichissement, la plus prometteuse a été celle d’ultracentrifugation. Les premières machines d’ultracentrifugation au Brésil ont commencé à fonctionner en 1982.
Avec cela, le pays a progressé dans le développement de nouveaux matériaux, de capteurs électroniques et de nouvelles soupapes pour un fonctionnement avec l’hexafluorure d’uranium (UF6) – composé utilisé dans l’enrichissement d’uranium. Les centres de recherches en industrie et université ont été mis à contribution.
Malgré les avancées, la construction du sous-marin nucléaire a connu des difficultés et le calendrier a dû être revu. Quand le Brésil et la France ont établi en 2008 le partenariat qui a donné naissance au Programme de développement de sous-marins, la prévision était de terminer le sous-marin nucléaire en 2021. À présent, le délai est de 2029, soit un demi-siècle après le début du projet.
Pour le spécialiste en sujets défense Bernardo Wahl de Araújo Jorge, de la Fondation École de sociologie et politique de São Paulo, les restrictions budgétaires du gouvernement fédéral se sont ajoutées à la difficulté de concrétiser le projet, retardé à cause de la difficulté à maîtriser le cycle de propulsion nucléaire, qui inclut le processus de production du combustible.
Comme l’observe Jorge, « ce n’est pas un type de technologie qui est habituellement transféré d’un pays à l’autre. L’armée, la marine et l’aéronautique ont développé des programmes technologiques destinés à enrichir l’uranium. Celui de la Marine s’est montré être le plus efficace. […] Si ce sous-marin avait été prioritaire pour tous les gouvernements et s’il n’y avait pas eu de contingence, le retard serait anormal. Comme cela n’a pas eu lieu, le temps qui reste avant son achèvement n’est pas si exceptionnel ».