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CLIMAT

Îlot de chaleur urbain en Amazonie

La région urbaine de Manaus est 3°C plus chaude que la forêt

Publié en Octobre 2012

Capitale de L´Amazonie: I´avancée du béton et du bitume rend la ville plus chaude

AFP IMAGEEFORUMCapitale de L´Amazonie: I´avancée du béton et du bitume rend la ville plus chaudeAFP IMAGEEFORUM

Pôles de développement de l’Amazonie brésilienne, enclavées dans l’immense forêt tropicale chaude et humide, Manaus et Belém commencent à présenter des altérations climatiques typiques des grandes villes. D’après un relevé de l’Institut National de Recherches Spatiales (Inpe), la température moyenne de la capitale amazonienne a augmenté de 0,7 degrés Celsius (°C) entre 1961 et 2010, pour atteindre 26,5°C. Pendant la même période, la capitale de l’état du Pará a augmenté de 1,51°C et atteint 26,3°C. Dans les deux cas, l’élévation est principalement due à la croissance de la zone urbanisée des villes. Mais si ce processus s’est accentué au cours des deux dernières décennies, il faut également tenir compte des effets plus globaux liés aux changements climatiques à grande échelle, qui peuvent avoir un impact sur ce taux. En 1973, les zones urbaines de Manaus et de la région métropolitaine de Belém étaient respectivement de 91 et 76 kilomètres carrés. En 2008, ces nombres étaient déjà de 242 et 272 km2 (cf. encadrés).

Avec de plus en plus d’immeubles, de béton et de bitume qui prennent la place de la végétation native, ledit îlot de chaleur urbain (phénomène connu depuis longtemps par les habitants de São Paulo et Rio de Janeiro) est apparu avec force dans les deux principales capitales du nord du pays. À la même heure de la journée, la température dans les zones de ces villes plus densément peuplées et occupées par des constructions et des édifices est toujours plus élevée que dans les zones rurales proches, où la forêt est préservée. Les données sur l’îlot de chaleur urbain sont plus nettes dans le cas de Manaus, qui est aujourd’hui la septième ville brésilienne la plus peuplée avec plus d’1,8 millions d’habitants – devant des capitales de la région Nord-Est, comme Recife, et du Sud, comme Porto Alegre et Curitiba. La différence de température entre les parties les plus urbanisées de Manaus et la Réserve Biologique du Cuieiras, une zone de forêt distante de près de 30 kilomètres, atteint des pics de plus 3°C cinq mois sur douze.

Ces résultats se basent sur des informations collectées chaque heure par quatre stations météorologiques entre 2000 et 2008, et sont présentés dans un article scientifique publié le 8 août dernier sur le site Internet de la revue Meteorological Aplications par Diego Souza et Regina Alvalá, des anciens chercheurs de l’Inpe actuellement en poste au Centre National de Surveillance et d’Alertes aux Désastres Naturels (Cemaden) de Cachoeira Paulista.

Le travail indique également que l’atmosphère des zones urbanisées de Manaus est devenue plus sèche que celle des forêts voisines. Pendant la période analysée, l’humidité relative de l’air dans les régions centrales de la ville a été en moyenne 1,7 % plus basse que dans les forêts. Cette différenciation a atteint son niveau maximum au milieu de la saison la plus pluvieuse, avec un air plus sec de l’ordre de 3,5 %. Pour Regina Alvalá, ingénieur cartographe spécialisée dans la cartographie d’utilisations et de couverture de la terre pour la modélisation climatique, «ces données montrent clairement l’effet îlot de chaleur urbain à Manaus».

À Belem, les études des deux chercheurs n’ont pas réussi à caractériser la dimension de l’effet îlot urbain de chaleur à cause de l’absence de longues séries historiques de données quotidiennes obtenues chaque heure, dans différents endroits de la ville et dans la forêt voisine. Néanmoins, certains indices laissent supposer que ce phénomène présente ses valeurs maximales au petit matin dans cette ville d’un peu plus d’1,4 millions d’habitants – la 11e ville la plus peuplée du Brésil.

Même si elles peuvent paraître petites pour les millions d’habitants des deux mégalopoles brésiliennes (São Paulo et Rio de Janeiro), les capitales de l’Amazonie et du Pará sont devenues de grandes agglomérations urbaines pour les normes mondiales. S’il s’agissait par exemple de villes françaises ou italiennes, en termes populationnels elles se situeraient seulement derrière Paris et Rome.

ALEXANDRE AFFONSODeux Pics
L’étude a mis en avant un aspect singulier et polémique : l’identification de deux pics journaliers où l’effet îlot de chaleur urbain est particulièrement fort à Manaus : le premier vers 8 heures du matin, le deuxième entre 15 h et 17 heures. Le météorologue Diego Souza observe que «dans la majorité des villes il n’y a qu’un pic journalier de l’effet îlot de chaleur urbain, en général pendant la nuit ou à l’aube». Les chercheurs ne savent pas exactement pourquoi ces pics ont lieu à ces deux moments de la journée, mais ils pensent qu’ils peuvent être associés à l’heure de pointe du trafic. La chaleur générée par la combustion est un des facteurs qui contribuent au réchauffement local de l’atmosphère.

Une étude menée par Francis Wagner et Rodrigo Augusto de Souza, des physiciens de l’Université de l’état d’Amazonie (UEA), a également évalué l’effet îlot de chaleur urbain à Manaus. Les caractéristiques du phénomène ne sont pas toutes les mêmes que celles diffusées dans l’article du Cemaden. Mais au-delà des différences méthodologiques, le travail des chercheurs de l’UEA s’est basé sur une autre période de temps. De mai 2010 à avril 2011, ils ont analysé les données sur la température de l’air de quatre stations, deux en zone urbaine et deux en zone rurale. Ils ont rencontré deux pics de l’effet îlot de chaleur urbain : un à 7 heures et l’autre à 20 heures. La plus grande différence de température entre la région urbaine et la région rurale a été de l’ordre de 3,5°C.

À partir des données du satellite environnemental Aqua, qui scrute le territoire avec une résolution spatiale d’1×1 km, les scientifiques de l’UEA ont estimé les variations de température à la superficie de Manaus entre août et septembre 2009, les mois généralement les plus secs. Les zones les plus chaudes ont été précisément les plus urbanisées, et les plus froides celles avec le plus de végétation préservée. Au sol, les différences de température entre les régions couvertes de béton et de bitume (comme le centre ville et les quartiers Cidade Nova et Petrópolis) et les secteurs de la forêt ont été de 10°C. «Nous sommes en train de faire une étude du microclimat dans la zone urbaine de Manaus pour fournir des pistes pour un plan directeur d’arborisation et d’urbanisme écologique», explique Wagner dont le projet est financé par le Fonds Municipal du Développement et de l’Environnement de Manaus.

L’une des conséquences possibles de l’effet îlot de chaleur urbain est l’altération du régime des pluies sur le territoire des deux villes amazoniennes. À São Paulo par exemple, la quantité de pluie moyenne annuelle qui tombe sur la plus grande ville brésilienne a augmenté de 30 % au cours des 80 dernières années ; certaines études attribuent une partie de cette augmentation pluviométrique – en particulier au printemps et en été – à l’urbanisation croissante de son territoire. Les études de modélisation atmosphérique haute résolution effectuées par Diego Souza et Regina Alvalá indiquent que si la zone urbaine des deux villes du nord continue de croître, la tendance sera une baisse de la quantité de pluies sur Manaus et une légère augmentation sur Belém. «Mais les changements au niveau du régime de pluies ne semblent pas très significatifs», ajoute la chercheuse.

Chaleur Londonienne AU XIXe SIÈCLE
Même s’il n’était pas connu sous ce nom, le phénomène des îlots urbains de chaleur est étudié depuis le début du XIXe siècle, quand l’anglais Luke Howard releva pendant la nuit presque 2°C de différence entre Londres (alors la plus grande métropole du monde avec plus d’1 million d’habitants) et trois communes rurales voisines. Depuis, l’analyse du climat des villes est devenue un thème de recherche chaque fois plus important. Et c’est d’autant plus vrai au XXIe siècle où, pour la première fois dans l’histoire, le nombre de personnes vivant en ville dépasse celui de ceux vivant en milieu rural.

L’édification de villes modifie radicalement la norme d’occupation du sol et crée un environnement local où la survenue d’îlots de chaleur urbains est quasiment une loi naturelle. À la place de la terre exposée, de l’herbe, des arbres et des éléments ruraux qui amenuisent les hautes températures au sol comme dans l’air, le paysage urbain est dominé par une série de matériaux imperméables qui ne retient pas la chaleur comme la végétation. À la campagne, la présence d’une végétation arborescente et d’un couvert végétal fournit des zones d’ombre capables de réduire la température du sol, donc de diminuer la température atmosphérique. Les zones vertes contribuent également à rafraîchir le climat d’un lieu grâce à l’évapotranspiration. Ce mécanisme amène les plantes et le sol à libérer de l’eau dans l’air pour dissiper la chaleur de l’environnement.

Dans les parties les plus urbanisées de la ville, tout ce qui rend le climat de la campagne plus amène est absent ou presque. L’eau des pluies ne pénètre quasiment pas dans le sol, il y a moins d’humidité localement et le processus d’évapotranspiration est moins intense. D’une manière générale, la ville de béton, bitume, verre et métaux tend à absorber et à emmagasiner le double de chaleur par rapport à une zone rurale voisine. Avec ses grands immeubles et ses constructions aux textures différentes de la superficie du milieu rural, l’architecture urbaine peut aussi altérer le régime des vents et intensifier la sensation de chaleur. Dans des mégalopoles comme São Paulo ou New York, l’effet îlot de chaleur urbain peut représenter une différence pouvant aller jusqu’à 12°C entre la température de l’air d’une zone fortement urbanisée et celle d’une zone rurale ou forestière. Et si l’on compare la température du sol, les différences tendent à être encore plus élevées.

Au Brésil, l’effet des îlots urbains de chaleur est étudié dans plusieurs capitales du pays depuis un certain temps déjà. Dans l’état de São Paulo, même des villes de petite taille et de taille moyenne font l’objet de recherches. L’équipe des géographes João Lima Sant’Anna Neto et Margarete Amorim, de l’Universidade Estadual Paulista (Unesp, campus de Presidente Prudente), a mesuré l’effet dans six villes de l’état : Teodoro Sampaio, Euclides da Cunha, Jales, Rosana, Birigui et Presidente Prudente. Ils ont utilisé des données du canal thermique du satellite Landsat et de stations météorologiques fixes et mobiles pour enregistrer le phénomène.

À Presidente Prudente, une ville de 207 000 habitants, les différences entre les zones les plus urbanisées et la région rurale sont montées jusqu’à 8°C, en particulier la nuit. Les quartiers populaires où se trouvent les grands ensembles (Cohab et Cecap) ont été les plus chauds de la ville. Dans ces endroits, observe Sant’Anna Neto, «l’utilisation de matériaux inadéquats dans les constructions, comme les tuiles en fibrociment, la densité élevée de la zone construite et le manque d’espaces verts intensifient les îlots de chaleur, car il n’y a pas de grande émission de polluants d’origine industrielle et automobile». Même des villes plus petites, comme Alfredo Marcondes qui est voisine de Presidente Prudente et compte 3800 habitants, présentent cette altération climatique. Pour le géographe, «les îlots de chaleur urbains sont aussi un problème de santé publique et favorisent la survenue de maladies des appareils respiratoire et circulatoire chez les personnes âgées et les enfants».

Article scientifique
OLIVEIRA, D.O. et ALVALÁ, R.C.S. «Observational evidence of the urban heat island of Manaus City, Brazil». Meteorologial Applications. Publication en ligne le 3 août 2012.

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