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BIOTE

Les nombreux visages du sertão

Une déficience hydrique et un climat semi-aride ont exigé des réponses adaptatives sophistiquées d’espèces de la caatinga

Publié en juillet 2013

Fazenda Dona Soledade, dans l’état de Paraíba: l’hétérogénéité 
de milieux est une des marques de la caatinga

FERNANDO ROSAFazenda Dona Soledade, dans l’état de Paraíba: l’hétérogénéité 
de milieux est une des marques de la caatingaFERNANDO ROSA

En 1818, pendant l’expédition autrichienne au Brésil – équipe scientifique composée de chercheurs et d’artistes venus étudier et retracer les espèces et les paysages de la biodiversité brésilienne –, deux naturalistes ont été impressionnés par la diversité végétale d’une forêt théoriquement hors du commun pour la région, à proximité des rives du fleuve São Francisco, dans la commune de Januária (état de Minas Gerais). La fascination de Carl Friedrich von Martius et Johann Baptiste von Spix était en grande partie due au fait que cette végétation se trouve dans une zone spécifique de la caatinga, un écosystème déterminé par un climat surtout semi-aride et où la disponibilité hydrique est basse et extrêmement variable. Comme beaucoup d’autres, il est probable que les deux naturalistes croyaient à tort que la caatinga était un milieu homogène. Dans sa conférence lors de la V Rencontre du Cycle de Conférences Biota-FAPESP Educação qui s’est tenue le 20 juin 2013 à São Paulo, Braúlio Almeida Santos a déclaré : « Là, il y a une grande variation de conditions environnementales, essentielles à l’apparition et au maintien de plusieurs espèces bien adaptées au climat de la région ».

Bráulio Almeida Santos est biologue de l’Université Fédérale de la Paraíba (UFPB). Il explique que la caatinga occupe aujourd’hui 11 % du territoire brésilien, sur une étendue d’environ 835 000 km2. Elle est divisée en huit écorégions – toutes constituées de paysages, types de sol et végétation très différentes – où les pluies peuvent ne pas atteindre les 1 000 millimètres (mm) par an. « Dans certaines zones », souligne le biologiste, « l’étiage peut aller jusqu’à 11 mois ». Actuellement, la région subit sa pire sécheresse depuis 30 ans, une situation qui affecte la vie de 27 millions de personnes. Juste dans l’état de Bahia, plus de 214 communes ont déclaré l’état d’urgence cette année.

De gauche à droite, les biologistes 
Bráulio Almeida Santos, Luciano 
Paganucci de Queiroz et Adrian Garda

LÉO RAMOSDe gauche à droite, les biologistes 
Bráulio Almeida Santos, Luciano 
Paganucci de Queiroz et Adrian GardaLÉO RAMOS

Au cours de milliers d’années, ces facteurs environnementaux ont exigé des réponses adaptatives spécifiques des plantes locales pour leur permettre de survivre dans un milieu chaque fois plus sec et chaud. L’une des ces réponses est l’ajustement que certaines espèces font quant à la manutention de leurs feuilles. Derrière cela se trouve une bonne raison : moins les plantes ont de feuilles, moins elles vont perdre d’eau pendant les saisons les plus sèches. Certaines d’entre elles procèdent à la fixation de gaz carbonique (CO2) la nuit et l’utilisent dans la photosynthèse pendant la journée, quand leurs stomates (structures sur les feuilles pour l’échange d’eau et de gaz) sont fermés. L’un des invités de la Rencontre, le biologiste de l’Université d´État de Feira de Santana (UEFS) Luciano Paganucci de Queiroz, dit que ce sont-là « quelques-uns des mécanismes trouvés par ces espèces pour ne pas perdre de l’eau avec la transpiration, qui se fait via les feuilles. Une stratégie simple, mais qui leur permet de retenir de l’eau pour les périodes les plus sèches ».

D’après lui, ce raisonnement est l’un des motifs qui contribue à déterminer la taille de ces plantes comme de leurs feuilles. Car si ce mécanisme leur garantit une meilleure adaptation au climat semi-aride, il restreint également l’apparition d’arbres de grande taille : « Les plantes de la caatinga ne croissent pas de manière continue parce que l’eau n’est pas disponible toute l’année ».

La petite grenouille Corythomantis greeningi: des adaptations 
complexes aux adversités du climat

ADRIAN GARDALa petite grenouille Corythomantis greeningi: des adaptations 
complexes aux adversités du climatADRIAN GARDA

Une autre réponse adaptative de ces espèces aux différents milieux du climat semi-aride est la protection qu’elles ont développée pour leurs feuilles, quand elles les ont encore. Cette protection se fait au moyen de pointes qui naissent à la surface de la tige des plantes, et de trichomes, des petits « poils » qui contiennent des substances urticantes et qui, en touchant la peau, peuvent déclencher des réactions allergiques. Une grande partie des plantes de la caatinga, comme les cactus, est équipée de ces boucliers naturels. Queiroz observe qu’« il s’agit d’un mécanisme de défense très intéressant contre les animaux herbivores. […] Ces espèces maintiennent leurs feuilles pour une courte période de l’année, donc elles sont précieuses et ont besoin d’être protégées ». Il pense que les conditions affrontées par ces espèces sont en train de devenir un filtre environnemental important, qui influence le processus évolutif des espèces de cet écosystème au fil du temps.

Richesse d’espèces
Malgré des circonstances défavorables, la caatinga renferme une grande variété de plantes, la plupart endémiques. Il existe près de 6 000 espèces réparties en 1 333 genres, dont 18 sont spécifiques à la région (endémiques). Sur les 87 espèces de cactus de la caatinga, 83 % sont exclusivement de cet écosystème. C’est le cas du mandacaru (Cereus jamacaru) et du xique-xique (Pilosocereus gounellei), des espèces menacées « parce qu’elles sont retirées encore jeunes de leur milieu et vendues comme souvenir dans des restaurants du bord de route », alerte Queiroz.

La famille des légumineuses, qui est la plus diversifiée de la caatinga, englobe aussi plusieurs espèces qui poussent exclusivement dans cet écosystème, comme la mucunã (Diclea grandiflora) et la jurema-preta (Mimosa tenuiflora). Beaucoup d’entre elles possèdent d’importantes fonctions écologiques. En raison de l’association avec certaines bactéries, ces plantes aident à fixer l’azote par le sol, ce qui le rend plus nutritif. Mais même avec les avancées en matière d’identification de nouvelles espèces, comme la Prosopanche caatingicola, une plante parasite cataloguée en 2012, le manque de données sur la biodiversité floristique de cet écosystème est encore grand.

Cette méconnaissance concerne aussi la faune de la caatinga et en particulier les invertébrés, a indiqué le conférencier et biologiste de l’Université Fédérale du Rio Grande do Norte (UFRN), Adrian Garda. On a longtemps cru que la caatinga était un écosystème décaractérisé, avec de faibles taux d’endémisme et de diversité d’espèces : « Les gens pensaient que la caatinga était un sous-échantillon d’autres écosystèmes ». Mais on sait désormais qu’elle est la région semi-aride la plus diverse du monde.

056-059_Biota_209_FRa-01Diversité menacée
D’après les données du Ministère de l’Environnement (MMA), la région semi-aride possède 591 espèces d’oiseaux, 241 de poissons et 178 de mammifères. On estime que 41 % des espèces de la caatinga restent encore inconnues, et que 80 % sont peu étudiées. Garda pense qu’il y a une « insuffisance de données sur la diversité d’animaux de cet écosystème ». Cependant, les taux d’endémisme enregistrés suggèrent que la faune de la caatinga a été soumise à un processus évolutif local indépendant, avec beaucoup d’espèces adaptées à ce domaine.

À titre d’exemple, la Corythomantis greeningi, une petite grenouille typique de la région. Pendant les périodes sèches, elle hiberne plusieurs mois entre des petites fentes de rochers fermées par sa tête hautement modifiée, pour se protéger des prédateurs et emmagasiner de l’eau. Le Scriptosaura catimbau, lézard adapté à des régions de sols sablonneux, « s’enterre littéralement et ‘nage’ sous le sable ». D’autres espèces, comme la grenouille Pleurodema diplolister, descendent jusqu’à plus d’1,5 mètre pour rechercher de l’eau pendant les périodes sèches. « Mais nous avons encore besoin de mieux comprendre ce que nous avons l’intention de préserver », a ajouté Garda.

...un serpent de l’espèce Epicrates assisi...

ADRIAN GARDA…un serpent de l’espèce Epicrates assisiADRIAN GARDA

Selon le secrétariat à la biodiversité et aux forêts du Ministère de l’Environnement, de 2002 à 2008 la déforestation dans la région semi-aride a été de 15 000 km2 – un peu plus de 2 000 km2 par an. Il ne reste aujourd’hui que 54 % de la végétation d’origine de la caatinga. D’après Santos, 113 des 364 unités de conservation (UC) enregistrées au MMA sont destinées à la protection et à la conservation de l’écosystème – néanmoins, elles ne couvrent que 7 % de ses 845 000 km2.

Pour lui, la cause principale de la déforestation dans la région est la production d’énergie. Les arbres deviennent du bois de chauffage et du charbon pour des entreprises sidérurgiques des états de Minas Gerais et d’Espírito Santo, ou des industries de plâtre et céramiques installés dans la région. Il pense que les conséquences de l’utilisation inappropriée des ressources naturelles de la région est la perte d’habitats et la fragmentation des écosystèmes : « Il ne s’agit pas d’arrêter d’utiliser les ressources naturelles de la caatinga, mais d’identifier jusqu’où nous pouvons les utiliser sans lui porter préjudice ».

Santos a rappelé que la création sauvage de chèvres et de moutons contribuait aussi à la dégradation de la végétation de la caatinga. Près de 17 millions de chèvres et de moutons consomment chaque jour de la végétation locale : « Très souvent, le grillage nécessaire pour maintenir le troupeau dans une zone coûte plus cher que la propriété. Aussi, beaucoup de producteurs laissent leurs animaux en liberté, les laissent consommer de manière indifférenciée ». Pour lui, la mauvaise utilisation des ressources naturelles conduit déjà à la désertification de la caatinga.

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dans les régions comme Cabaceira, dans l’état du 
Paraíba

FERNANDO ROSA…commun 
dans les régions comme Cabaceira, dans l’état du 
ParaíbaFERNANDO ROSA

Le biologiste affirme qu’« il faut conserver la végétation restante en élargissant le réseau de zones protégées. […] Il est important de promouvoir un maniement adéquat des zones qui subissent l’influence de l’activité humaine et éduquer tous ceux qui vivent ou font usage des ressources naturelles de la région, en récupérant le sentiment d’appartenance à la caatinga ». Pour cela, il est fondamental d’augmenter le soutien à la recherche et à l’enseignement, ainsi que la surveillance pour garantir la préservation de la diversité biologique de la caatinga. Une diversité que les naturalistes allemands avaient déjà constaté. Dans Voyage dans le Brésil, où ils racontent leurs excursions dans le pays entre 1817 et 1820, ils ont écrit : « Nous étions […] dans un pays entièrement différent. Au lieu de forêts sèches, dépourvues de feuilles, ou de champs de la région haute du sertão, nous étions entourés de toutes parts de forêts verdoyantes, que bordaient de grands lacs poissonneux ».

Le Cycle de conférences Biota-FAPESP Educação est une initiative du Programme Biota-FAPESP en partenariat avec la revue Pesquisa FAPESP, tournée vers la discussion des défis liés à la conservation des principaux écosystèmes brésiliens: pampa, pantanal, cerrado, caatinga, forêt atlantique et Amazonie, en plus des milieux marins et côtiers et de la biodiversité dans des milieux anthropiques – urbains et ruraux. Les conférences présentent jusqu’en novembre la connaissance produite par des chercheurs de tout le Brésil, et ce afin de contribuer à l’amélioration de l’éducation scientifique et environnementale des professeurs et lycéens du pays.

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