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ÉNERGIE

Vol vert

Une étude encourage la production de biokérosène 
pour l’aviation civile

Publié en juillet 2013

Flotte d’Embraer: l’entreprise s’unit à Boeing pour trouver des alternatives 
au kérosène 
dérivé du pétrole

EMBRAERFlotte d’Embraer: l’entreprise s’unit à Boeing pour trouver des alternatives 
au kérosène 
dérivé du pétroleEMBRAER

Les comptes sont déjà faits. L’aviation commerciale devra réduire de 50% ses émissions de dioxyde de carbone(CO2) jusqu’en 2050 par rapport aux émissions de 2005. À cet effet, un grand effort de recherche et de développement est en train d’être mené dans différents pays par différentes institutions et entreprises pour aboutir à un kérosène non plus dérivé du pétrole mais d’une source renouvelable lançant moins de gaz nocifs dans l’atmosphère. Le Brésil a, grâce au biokérosène, de grandes chances de redevenir un centre de référence mondial important en matière de développement et de production de biocarburant comme ce fut le cas pour l’éthanol et le biodiesel. Cette tendance est soulignée dans l’étude intitulée «Plan de vol pour les biocarburants de l’aviation civile brésilienne: plan d’action» présentée début juin à São Paulo et sponsorisée par deux des trois principaux constructeurs d’avion du monde, Boeing et Embraer, avec un financement de la FAPESP, sous la coordination du Noyau Interdisciplinaire de Planification Stratégique (Nipe) de l’Universidade Estadual de Campinas (Unicamp). Des entreprises nationales et internationales, des universités et des instituts de recherche, soit au total 33 partenaires, ont également participé à cette étude menée durant un an avec la tenue de 8 workshops.

Cette étude présente différentes voies technologiques utilisant certaines matières premières comme la canne à sucre, les algues, la graisse animale, les huiles végétales, les matériaux lignocellulosique, les amidons et les déchets urbains, et propose différentes techniques de conversion et de raffinage pour obtenir du kérosène. L’étude indique également qu’il y a encore à ce stade des recherches beaucoup de lacunes importantes à combler sur le plan technologique et financier. Il s’agit de difficultés d’ordre technique qui exigeront la participation de tous les secteurs impliqués comme les constructeurs d’avion, les compagnies aériennes, les développeurs et les fournisseurs de carburant, outre les entités certificatrices mondiales. Il y a un autre facteur qui ne peut être négligé et qui concerne la logistique de production et de distribution du biocarburant pour les 108 aéroports brésiliens qui accueillent des gros-porteurs, ce qui représente 1 million de vols programmés uniquement pour l’espace aérien brésilien, outre la nécessité de répondre aux besoins des 62 mille vols internationaux qui partent chaque année du Brésil à destination de 58 aéroports dans 35 pays. Ces vols vers l’étranger représentent 60% de la consommation de kérosène de l’aviation dans le pays.

Le biokérosène doit se soumettre à des critères précis et rigoureux avant d’être certifié. Il faut qu’il présente les mêmes spécifications techniques que le carburant actuel pour être considéré drop-in, caractéristique qui garantit un prompt approvisionnement pour les moteurs actuels et ceux qui sont en développement, outre le fait de pouvoir être mélangé avec du kérosène conventionnel. «Tout le monde s’accorde à dire qu’il n’y aura pas de grands changements technologiques dans les carburants de l’aviation commerciale dans les prochaines décennies avec l’introduction de l’énergie solaire, des cellules à combustible qui fonctionnent avec de l’hydrogène, ou des batteries de lithium, par exemple. Ces équipements sont lourds et occupent trop de place, consommant donc plus de carburant», explique le professeur Luís Augusto Cortez, vice-président des relations internationales de l’Unicamp et coordonnateur de l’étude. « Il est impossible de réduire les émissions en améliorant seulement l’efficacité des moteurs et c’est pour cela que nous encourageons la recherche de nouveaux carburants», déclare Mauro Kern, vice-président exécutif d’ingénierie et de technologie d’Embraer. Au mois de juin, l’entreprise a annoncé sa nouvelle ligne d’avions à réaction, la E2, qui dépense moins de carburant, qui est moins polluant et qui commencera à entrer en service à partir de 2018.

084-089_Bioquerosene_FRA-01Les biokérosènes des entreprises Amyris et Solazyme, deux entreprises en bioénergie, les deux situées en Californie, aux États-Unis, sont parmi les technologies les plus avancées développées au Brésil. Ces entreprises ont été citées au cours de l’annonce de l’étude et elles font partie du groupe de partenaires qui mène l’étude coordonnée par la FAPESP. La première, fondée par des chercheurs de l’Université de Californie, à Berkeley, est installée au Brésil depuis 2007. L’entreprise produit déjà depuis décembre 2012, dans la commune de Brotas, dans la province pauliste, le farnésène, un produit liquide obtenu à partir du jus de canne à sucre à l’aide de lignages de levures Saccharomyces cerevisiae génétiquement modifiées. Ces microorganismes transformés interviennent dans le processus de fermentation et produisent du farnésène et non pas de l’éthanol. À partir de ce produit, il est possible de fabriquer soit du biokérosène soit des produits destinés à l’industrie chimique, ou même encore du diesel qui fut la première cible de l’entreprise au Brésil avec des procédés de raffinage spécifiques. Il est actuellement utilisé de manière expérimentale par certaines flottes d’autobus dans les villes de São Paulo et Rio de Janeiro.

«Avec un processus minimum d’hydrogénation, le produit se transforme en farnésène qui n’est rien d’autre que du biokérosène», déclare Joel Velasco, vice-président senior d’Amyris. «Nos brevets et notre technologie concernent principalement les lignages de levure développés par Amyris, toutefois le farnésène n’est pas un produit transgénique, explique Joel Velasco. «Jusqu’à présent, le farnésène a été produit à petite échelle d’où son coût plus élevé par rapport au kérosène traditionnel. Ces coûts se réduiront au fur et à mesure que nous augmenterons l’échelle de production», déclare Joel Velasco. L’entreprise Amyris, fondée en 2003, a été financée par l’achat d’une partie de ses actions par Total, cinquième compagnie d’hydrocarbure mondiale. Son siège se trouve en France et c’est actuellement le principal fournisseur de kérosène pour l’aviation en Europe. «Nous espérons être l’alternative la plus compétitive en matière de kérosènes renouvelables destinés à l’aviation quand nous produirons à une échelle industrielle» déclare Joel Velasco.

084-089_Bioquerosene_FRA-02Pour devenir fournisseur de biokérosène, les entreprises qui développent ce biocarburant doivent recevoir l’aval de la Société Américaine de Tests et de Matériaux (ASTM, pour le sigle en anglais). Des vols-tests ont donc été réalisés avec au maximum 50% de biocarburant mélangé à part égale au carburant traditionnel. Un de ces vols-test a eu lieu le 20 juin quand Amyris avec la collaboration de Total, a alimenté en kérosène un Airbus 321 durant le Paris Air Show. «Le carburant utilisé a été produit à partir de canne à sucre brésilienne», déclare Velasco. Auparavant, au mois de juin 2012, l’entreprise avait déjà fourni du biokérosène pour un vol à Rio de Janeiro durant la conférence Rio+20. Il s’agissait dans ce cas là d’un avion à réaction E195 de la compagnie Azul Linhas Aéreas et fabriqué par Embraer. Au mois de juin de cette année, l’Agence Nationale du Pétrole (ANP) a publié les spécifications brésiliennes en ligne avec les procédures internationales pour le biokérosène destiné à l’aviation, permettant ainsi à des vols commerciaux d’utiliser le biocarburant dans le pays.

Plus de 1 500 vols commerciaux et militaires ont déjà eu lieu avec des mélanges de kérosènes renouvelables et fossiles. Solazyme a réalisé des tests aéronautiques visant l’obtention de certificats mais également destinés à la vérification et à l’analyse des constructeurs d’avion. Le premier vol commercial utilisant le biokérosène produit par l’entreprise a eu lieu en 2011 sur un Boeing 737-800 d’United Airlines, entre les villes de Houston et de Chicago, sur une distance de 1 700 kilomètres. Selon les données de Solazyme, le vol a permis d’éviter de lancer de 10 à 12 tonnes de CO2 dans l’atmosphère. Cette quantité correspond à la consommation d’essence d’un véhicule de tourisme moyen sur une distance de 48 mille kilomètres, aux États-Unis. L’entreprise fondée en 2003 et installée au Brésil depuis 2011, produit du biokérosène à partir de microalgues alimentées par des sucres. Après avoir «grossi» dans des fermentateurs, elles produisent une huile dans leur intérieur. L’huile est extraite par écrasement et elle passe ensuite par un processus de raffinage identique à celui utilisé par l’industrie pétrochimique, où elle est fractionnée en différents types de biocarburants et de produits destinés à l’industrie chimique. «Nous réalisons un craquage de l’huile produite par les algues et ensuite nous passons à la phase d’hydrogénation et d’isomérisation pour obtenir, entre autres produits, un biokérosène qui réponde aux spécifications de l’aviation», explique Rogério Manso, directeur commercial global de Solazyme. «Pour mettre en œuvre ce processus, nous sélectionnons dans la nature des types de microalgues plus adaptées à la production d’huile. Nous induisons ensuite des mutations à l’aide de moyens traditionnels de sélection et nous concluons par un travail d’ingénierie génétique pour la sélection finale de nos souches de microalgues», déclare Rogério Manso.

Moteurs du Boeing 747: biokérosène pour les vols internationaux

boeingMoteurs du Boeing 747: biokérosène pour les vols internationauxboeing

L’entreprise Solazyme au Brésil, a signé un partenariat avec l’entreprise Bunge, productrice d’huiles végétales alimentaires et de biodiesel et qui possède des usines de canne à sucre. C’est ainsi que Solazyme Bunge Produits renouvelables est en train de construire une unité de production à côté d’une usine dans la commune d’Orindiúva, dans l’intérieur pauliste. L’huile primordiale est produite à partir d’un processus de fermentation du sucre du jus de canne avec des microalgues dont l’entreprise ne dévoile pas le nom. «Dans ce procédé, le jus de canne est transformé en une huile de grande valeur ajoutée», déclare Walfredo Linhares, directeur Solazyme au Brésil. Il nous indique que l’entreprise a déjà des partenariats avec Volkswagen et un contrat d’approvisionnement pour la Marine nord-américaine qui ne veut plus dépendre exclusivement des dérivés du pétrole. La production au Brésil devrait commencer fin 2013 et Solazyme Bunge bénéficie d’un apport financier de 246 millions de réais versé par la Banque Nationale de Développement Économique et Social (BNDES). La fabrication de biokérosène au Brésil dépend encore d’un accord avec une entreprise spécialisée dans le raffinage ou même de la construction d’une unité propre. Tant Solazyme qu’Amyris peuvent adapter leurs technologies propres à d’autres types de sucre comme celui de la betterave en Europe, l’amidon de maïs aux États-Unis ou la bagasse de canne à sucre.

Un autre procédé de fabrication de biokérosène renouvelable développé à la Faculté d’Ingénierie Chimique (FEQ) de l’Unicamp, sous la coordination du professeur Rubens Maciel Filho, en est à une échelle de laboratoire et prêt à être exploité sur une ligne de production pilote. «Nous avons atteint le maximum de production que nous pouvions obtenir en laboratoire et nous travaillons actuellement sur la captation de financements, l’augmentation de la production et l’évaluation économique de notre biokérosène tout en menant une étude de durabilité», explique Maciel, qui est également l’un des coordonnateurs du programme de Recherche en Bioénergie (Bioen) de la FAPESP. «Un accord commercial est en train d’être négocié», dit-il sans révéler le nom de l’entreprise. Ce procédé peut utiliser différentes huiles et graisses selon l’approvisionnement local, ce qui, en termes de logistique de la matière première, a un grand impact sur les coûts de production. «Le biocarburant est produit avec des huiles végétales, de l’éthanol et un catalyseur spécifique qui déclenche la réaction sans qu’il soit nécessaire d’utiliser des microorganismes génétiquement modifiés», dit-il.

Usine d’Amyris, 
à Brotas (SP)

amyrisUsine d’Amyris, 
à Brotas (SP)amyris

Les exemples de procédés développés pour produire du biokérosène renouvelable montre que le pays cherche à se positionner fortement sur la ligne de front mondiale des biocarburants. «Le Brésil possède des avantages importants et vit une situation différente à celle de l’éthanol et du biodiesel dans laquelle l’adhésion des entreprises n’avait été motivée que par les encouragements de programmes gouvernementaux. Maintenant c’est différent. Il y a une demande globale des compagnies d’aviation pour un carburant qui émette moins de CO2”, déclare le professeur Luiz Horta Nogueira, de l’Université Fédérale d’Itajubá (Unifei), dans l’état de Minas Gérais, et collaborant à l’étude. Le chemin est encore long avant que des camions de biokérosène n’entrent dans les aéroports pour approvisionner les avions et tout dépendra également du niveau de réduction de CO2 et d’autres polluants atteint par chaque biocarburant par rapport aux dérivés du pétrole. «Nous n’arrivons pas encore à établir et à définir le cycle de vie des émissions du biokérosène. Il n’y a pas de données fiables à ce sujet comme notre étude l’indique», déclare Cortez.

Projet
Roadmap technologique pour des biocarburants durables destinés à l’aviation – Opportunités pour le Brésil (n° 2012/50009); Modalité Programme Partenariat pour l’Innovation Technologique (Pite); Coordination Luís Augusto Cortez/Unicamp; Investissement 565 550,00 réais (FAPESP).

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